La Grèce sous un regard latino-américain
Revue LAnticapitaliste n°68 (septembre 2015)
Vendredi 4 septembre 2015
A bien des égards, la Grèce traverse aujourdhui une situation similaire à celle quont connue des pays dAmérique latine. Cest ce qui donne un intérêt particulier au regard porté ici par léconomiste marxiste argentin, Claudio Katz. Cet article (titre original « Grecia con ojos latinoamericanos », http://katz.lahaine.org/?p=256 ,repris sur de nombreux sites et blogs latino-américains ou de langue castillane, a été traduit par Jean-Philippe Divès
Le vote au Parlement du troisième mémorandum a conclu un autre chapitre du drame que vit la Grèce. Lenthousiasme généré par la victoire du Non dans le référendum a laissé place de façon abrupte à la frustration suscitée par la capitulation de Tsipras. Mais lissue finale reste à venir. Si la bataille contre le nouveau plan daustérité regagne en intensité, lespoir dune résistance à la Troïka renaîtra.
Lexpérience latino-américaine de lutte contre les mêmes ennemis apporte trois leçons utiles pour la conjoncture hellénique. Premièrement, dans des situations critiques les directions timorées jouent un rôle terriblement négatif ; pour changer lhistoire il faut des dirigeants courageux comme Fidel ou Chávez. Deuxièmement, les diktats du FMI peuvent être rejetés, mais à la condition de construire une conscience populaire de rupture avec les banquiers et non des illusions de réforme de leurozone. Troisièmement, dans une situation de catastrophe économique, il est indispensable de suspendre le paiement de la dette pour retrouver de loxygène et de la croissance.
Des cruautés préméditées
La définition judicieuse du nouveau mémorandum comme un coup dEtat de lEurogroupe a immédiatement circulé sur les réseaux sociaux. Un hebdomadaire allemand la défini comme « un catalogue de cruautés ». Il est plus violent que tous les précédents et inclut des garanties supplémentaires dajustement fiscal.
Les exigences dexcédent fiscal pour payer la dette sont brutales. Laugmentation de la TVA a été généralisée, lâge du départ en retraite repoussé et les aides aux plus petites retraites supprimées. Sapplique également un impôt sur les petites propriétés, qui transforme les familles appauvries en locataires de leurs propres foyers, tandis que la suppression du moratoire sur les expulsions locatives conduira à une explosion de leur nombre.
Le nouveau programme restaure un néolibéralisme féroce. Il promeut la flexibilisation du travail, facilite les licenciements et restreint la négociation collective. Il libère également les prix des produits de première nécessité et favorise une ouverture commerciale destructrice.
Les privatisations sont réintroduites à grande échelle. Le bradage des ports est complété par la vente de la compagnie nationale délectricité. Largent collecté par ce pillage sera remis à un fond géré par les banquiers. Ils a finalement été décidé de superviser cette expropriation depuis Athènes, plutôt que de la gérer dans le paradis fiscal du Luxembourg. Le vieux plan allemand consistant à semparer des îles les plus appréciées par les touristes se met en marche.
Le programme inclut des garanties obligeant à respecter tout ce qui a été signé. Le plus petit écart déclenchera des sacrifices supplémentaires. La tant attendue restructuration de la dette a disparu, il ne reste que de vagues promesses de se pencher sur la question dans le futur, alors même que la contraction de léconomie aggrave le passif.
Le FMI estime que la dette bondira en peu de temps de 175 % à 200 % du PIB. Toute révision future de cette charge aggravera les transferts de propriété au capital étranger. Lobjectif explicite de cette démolition était dhumilier Tsipras. Merkel le pousse à gouverner avec la droite, en le transformant en un autre dirigeant social-libéral dépourvu de légitimité. Elle espère démoraliser la population, détruire Syriza et faciliter le retour au pouvoir des conservateurs.
La dureté de la Troïka constitue à lévidence une vengeance après le référendum. Elle sanctionne le défi introduit par cette consultation et réaffirme que la démocratie est incompatible avec la dictature de leuro. LEurogroupe ne tolère pas le résultat très clair de ce vote dans le pays berceau de la démocratie.
Le nouveau mémorandum enterre les derniers vestiges de souveraineté de la Grèce et transforme son Parlement en une succursale de Bruxelles. Toute initiative législative devra désormais avoir le blanc-seing des dirigeants de la Troïka. Leurs envoyés superviseront les comptes publics et, comme dans les années 1990 en Argentine, convoqueront dans lurgence les parlementaires pour faire voter leurs exigences.
Allemagne et Etats-Unis
Une impression assez générale est que linflexibilité monétaire allemande serait un legs du cauchemar inflationniste ayant précédé le nazisme. Dautres interprétations insistent sur le dogmatisme économique ou sur laveuglement politique.
Mais la rigidité de Merkel nest pas un caprice. Cest linstrument quutilise lAllemagne pour renforcer sa prééminence et contrôler les prochains pas de lunification fiscale et bancaire de lUE. Elle recourt à des recettes déflationnistes pour assurer sa primauté exportatrice et créditrice, à travers une monnaie continentale forte.
La puissance germanique a besoin dune artillerie économique qui supplée son indigence militaire et sa faiblesse géopolitique. Elle ne bénéficie pas de la protection du Pentagone pour inonder le monde de dollars et doit se subordonner la France dans la cogestion de lUnion européenne. Cette supériorité est pour elle vitale face aux négociations imminentes sur la permanence de la Grande-Bretagne dans lUnion.
LAllemagne frappe la Grèce pour adresser un avertissement à tous les peuples du Vieux continent. Pendant cinq mois, elle a refusé toute concession à Syriza et coupé lapprovisionnement en liquidités des banques grecques, comme mesure de rétorsion face à linsubordination envers laustérité régressive permanente.
Les Etats-Unis interviennent dune autre façon. Ils agissent plus prudemment et prennent en compte les conséquences dangereuses dune destruction de la Grèce. Ce pays héberge quatre bases de lOTAN, a toujours des sujets de conflit avec la Turquie et dispose de plus de sous-marins, davions et de troupes que beaucoup dacteurs de la région.
Obama a enregistré le fait que la faillite de la Lybie lui a fait perdre tout contrôle sur les flux dimmigration en Europe. La Grèce est un Etat tampon pour limmense masse des réfugiés qui afflue dAfrique et du monde arabe. Elle se situe en outre sur la route dun projet de gazoduc et participera activement à lexploitation future du gaz côtier.
La Grèce dispose dun vote clé au sein de lUnion européenne. En recherchant un soutien économique de la Russie, elle pourrait utiliser ce levier pour gêner lapplication des sanctions mises en oeuvre par lalliance occidentale depuis le début de la crise ukrainienne. Le Département dEtat est également préoccupé par les appétits chinois pour le port du Pirée.
Mais ces dangers nexpliquent quen partie les réserves dObama face à la virulence germanique. Les Etats-Unis déploient un double jeu combinant soutien à la Troïka et affaiblissement de leur principal rival économique en Europe. Cest la raison pour laquelle le FMI exige des banques allemandes quelles prennent à leur compte une partie de la faillite grecque, en plaidant pour une réduction de 30 % de la dette et une période de grâce de 20 ans, que les ces banques auraient à financer.
Mais la principale crainte dObama est une déstabilisation générale du vieux continent. Létranglement de la Grèce sape la légitimité dun projet européen dont la base de soutien social se rétrécit. La victoire du Non dans le référendum a réaffirmé lhostilité populaire à un modèle dunification néolibérale souvent contesté dans les urnes. Depuis le Traité constitutionnel de 2005, ce mécontentement est devenu plus visible.
La crise hellénique se développe dans un scénario international convulsif, que la Grèce pourrait utiliser pour faire valoir ses demandes. Mais pour cela, il faudrait le courage qui a précisément manqué à Tsipras.
Capitulation et regroupement
La conduite du leader de Syriza passera à lhistoire comme un exemple pathétique de reddition. La capitulation a été prononcée dès le lendemain de la victoire du Non. Au lieu de remplir le mandat donné par ce vote, Tsipras sest engagé dans une action frénétique pour le Oui, en reléguant aux oubliettes toutes ses convictions.
Pour sattirer les bonnes grâces des créditeurs, il a exigé que la majorité victorieuse se subordonne à la minorité vaincue. Il en a appelé à une droite en déroute pour faire adopter immédiatement par le Parlement le plan daustérité élaboré par Hollande.
Cette soumission nétait cependant pas suffisante et Merkel a exigé une subordination encore plus honteuse. Tsipras a alors approuvé les mêmes textes quil avait dénoncés des années durant et sest mis à genoux devant les ennemis quil avait promis daffronter. Il a fait exactement le contraire de ce que font tous les dirigeants engagés aux côtés de leur peuple, qui prennent des risques et se confrontent à lordre impérial.
Tsipras prétend que « lon a évité le pire », sans expliquer en quoi cela consisterait. Il justifie aujourdhui « laustérité à visage humain » quil avant tant de fois dénoncée. Il sait, en outre, linutilité du nouveau plan daustérité. Car léconomie grecque se trouve dans un état dépuisement absolu et ne peut pas supporter de nouvelles compressions. Leffondrement du PIB a atteint les 25 % et le chômage des jeunes est de 52 %. On estime que 45 % des retraités et 40 % des enfants sont tombés sous le seuil de pauvreté.
La chirurgie fiscale à laquelle la Grèce a été soumise est déjà deux fois et demie supérieure à celle subie en Espagne et aucun économiste ne saventure à prédire de la croissance. Pendant quils sapproprient le pays, les créditeurs continuent à empocher à un guichet ce quils déboursent à un autre.
Mais le nouveau mémorandum peut faire resurgir la résistance sociale, que lon perçoit déjà dans les grèves du secteur public. Il faudra voir la réaction de la population face à un virage politique qui génère de la perplexité. Au vu de ce qui sest passé ces dernières années, il y a une marge pour de grandes surprises. La victoire du Non a illustré lextraordinaire capacité de riposte dun peuple qui, au milieu dun blocage bancaire et des campagnes de peur, a écrasé la droite. Les 60 % de rejet ont stupéfié le monde atteignant 85% parmi les jeunes.
Cette réaction a mis en évidence une expérience acquise au long dextorsions répétées. Lagression de la Troïka dure depuis six ans, elle a imposé huit plans daustérité, à travers quatre gouvernements. La capitulation de Tsipras a provoqué la plus grande déception de toute cette période, mais ce nest pas le premier chantage auquel les travailleurs grecs font face. Tandis que les bureaucrates de lEurogroupe considèrent la Grèce comme une simple colonie de vacances, on voit resurgir la tradition héroïque de la résistance aux occupations coloniales et aux nazis.
Des analystes comparent le choc que la gauche traverse du fait de la reddition de Tsipras à la commotion quavait provoquée la première soumission de la social-démocratie aux guerres interimpérialistes. Cette analogie permet aussi de souligner le danger actuel dune capitalisation du mécontentement populaire par les fascistes. Les groupes de choc dAube Dorée disposent déjà dune représentation parlementaire significative et pourraient transformer limpuissance gouvernementale de Syriza en une tragédie majeure.
Cest pourquoi il est urgent de reconstruire un pôle de gauche opposé à la capitulation officielle. Rendre visible rapidement un tel regroupement permettrait de contrebalancer le découragement généré par la reddition de Tsipras. Les premières expressions dun tel pôle peuvent être décelées à travers les 32 députés de Syriza qui ont voté contre le mémorandum, les trois ministres remerciés et la centaine de membres du comité central ayant désapprouvé la capitulation.
Mais la nouvelle étape exige aussi de revoir les programmes et les stratégies de négociation.
Labsence de Plan B
Tsipras a accepté le chantage de la Troïka en présentant la sortie de leuro comme la fin du monde. Il a affirmé quun tel retrait conduirait à une dégradation de léconomie, sans comparer cette possibilité avec la démolition que génère la permanence au sein de leurozone. Les scénarios de dévaluation, inflation, appauvrissement et pénuries décrits en cas de « Grexit » omettent dévaluer le terrible contexte actuel de larrimage à la monnaie unique.
Syriza a accédé au gouvernement en avançant le mot dordre très juste de « pas un sacrifice pour leuro ». Il a affirmé sa disposition à maintenir le pays dans leuro, mais sans contreparties daustérité. Au bout de cinq mois de négociations, lincompatibilité de ces deux objectifs est devenue manifeste. La coalition de gauche avait également refusé, à juste raison, le choix consistant à simplement restaurer la vieille drachme comme corollaire du modèle de dévaluation capitaliste proposé par certains économistes hétérodoxes (Krugman). Mais elle a opposé à cette solution la simple permanence dans leuro, avec lespoir que sa gestion soit assouplie.
Une telle illusion a recréé tous les mythes de leuropéisme bienveillant. Ces croyances supposent que les institutions unifiées du continent seraient intrinsèquement positives, malgré leur empreinte néolibérale. Au lieu mettre en cause ces conceptions, Tsipras a maintenu le rattachement aveugle à leuro. Il a renoncé à créer les conditions dune éventuelle sortie de la zone euro si lexigence austéritaire persistait. Il sest en particulier refusé à concevoir un Plan B pour les négociations avec la Troïka.
Sur ce terrain, le contraste avec lAmérique latine est riche denseignements. Dans cette région du monde, la gauche a toujours abordé la bataille contre laustérité en exigeant la rupture avec le FMI. Bien sûr, les conditions de la lutte sont différentes. Mais pour les secteurs progressistes dAmérique latine, il va de soi que la souveraineté économique et lautonomie des organismes financiers sont indispensables afin de freiner les attaques des banquiers.
On sait à présent que sa volonté de rester à tout prix dans la zone euro a conduit Tsipras à rejeter le programme alternatif présenté au dernier moment par Varoufakis. Cette option incluait un contrôle des banques afin de lancer une émission limitée de quasi-monnaie complémentaire de leuro. Il est important de pouvoir apprécier ce qui sest produit lors de ces tentatives, puisque la Grèce et la Troïka reviendront à la table des négociations lorsque le caractère non viable du nouvel accord aura été vérifié. Cest seulement à travers un Plan B que lextorsion pourra être stoppée et léventuelle sortie de leuro devenir une carte entre les mains du débiteur.
Il faut bien comprendre quun retrait grec de la zone euro représenterait pour la Troïka un énorme danger, que les banquiers cachent avec leurs prévisions dune catastrophe qui ne toucherait que la Grèce. Ils savent pourtant quune telle issue pourrait déclencher un ébranlement financier général, si la contagion menaçait dautres économies au bord de la cessation de paiement.
Cest pourquoi lEurogroupe avait également envisagé un « Grexit » ordonné, temporaire et protégé. Terrorisé par le chantage de Merkel, Tsipras na même pas voulu considérer cette possibilité. La Grèce peut sappuyer sur la dangerosité du scénario entourant la négociation. La Troïka a préparé un protocole de soutien financier pour les économies qui seraient les plus affectées par un éventuel « Grexit » (Chypre, Macédoine, Bulgarie, Roumanie, Bulgarie, Portugal). Mais elle ne pourrait pas éteindre le feu si lincendie sétendait à lItalie ou à lEspagne, ou menaçait la survie même de leuro.
Lessentiel de lestablishment allemand considère quune crise de ce type naffecterait pas les banques recapitalisées depuis 2009. Mais dautres secteurs alertent sur la fragilité maintenue des groupes financiers, dans un cadre international de secousses boursières en Chine et de défaut potentiel de plusieurs pays (Puerto Rico, Ukraine). La question la plus critique est celle de lissue du cycle de très haute émission monétaire qui a préservé le niveau de lactivité économique aux Etats-Unis et en Europe au cours des six dernières années.
La Grèce pourrait négocier dans dautres conditions si elle avait préparé un ensemble de mesures nécessaires pour sortir de leuro. Une série de pistes ont déjà été explorées, incluant des billets électroniques et un programme redistributif de conversion monétaire.
La comparaison avec lArgentine
A mesure que la crise hellénique saggrave, le soulagement consécutif au défaut argentin acquiert une nouvelle actualité analytique. Ce précédent confirme que la suspension du paiement de la dette est le seul moyen dont la Grèce dispose afin de sortir son économie de lasphyxie. Seul un tel moratoire permettrait déquilibrer les termes défavorables de la négociation. Le précédent argentin de 2002-2006 montre comment un desserrement des coûts externes permet dutiliser les fonds initialement destinés aux créditeurs afin de recomposer la demande interne.
Certes, dans le cas argentin, lutilisation de ressources fiscales pour stimuler la croissance sest faite sur une base de départ régressive (méga-dévaluation et baisse des salaires) et dans le cadre dun pari sur la reprise économique pour le moins hasardeux (réussi grâce à lappréciation internationale des prix des matières premières). Mais ce précédent est utile pour rappeler que la suspension des paiements de la dette est une condition sine qua non afin de sortir du marasme.
Le gouvernement kirchnériste a coutume de diluer ces faits dans une présentation embellie de son modèle économique. Il laisse entendre quun tel dispositif permettrait à la Grèce de sortir de son cauchemar1. Mais cette solution inclurait deux éléments clés la conversion monétaire et le désendettement qui annulerait ce qui aurait été obtenu initialement en termes déconomies sur les paiements aux créanciers.
Léchange de titres a entériné [en Argentine, NdTr] la réduction dune dette qui se trouvait déjà dévalorisée et a conduit à des réductions, dont létendue devrait toutefois être recalculée à la lumière des paiements additionnels effectués par la suite. Le litige en cours avec les fonds « vautours » illustre en outre les conséquences la décision daccepter larbitrage des tribunaux de New York. Le choix ultérieur de payer rubis sur longle les engagements du nouveau passif a entraîné une décapitalisation massive du pays. Le montant faramineux (173 milliards de dollars) des intérêts payés au cours de la dernière décennie a affecté linvestissement et nourri le redémarrage de lendettement.
La Grèce devrait sélectionner très soigneusement ce quil lui convient de reprendre de lexpérience argentine. Elle dispose toujours de la possibilité de déclarer une suspension des paiements de la dette, avant de tomber dans le défaut chaotique qua traversé le cône sud latino-américain. Au lieu de répéter la répression qui a accompagné cet effondrement, elle pourrait regagner un soutien populaire à laide de nouveaux référendums légitimant la récupération de sa souveraineté financière.
En Argentine, les aspects frauduleux de la dette ont été effacés par les échanges de titres. En Grèce, au contraire, a été réalisé laudit contemporain le plus complet. Cette investigation a prouvé lescroquerie commise par les banques dans le but de financer leur propre sauvetage. Elle apporte nombre darguments utiles pour réfuter linfâme présentation des Grecs comme un peuple « irresponsablement dépensier ».
Les différences entre la Grèce et lArgentine sont nombreuses et ont été signalées par divers analystes, mais elles ne déterminent pas lissue dun défi adressé à la Troïka. LArgentine, dont la dette était répartie entre de multiples créanciers privés, na jamais fait défaut envers le FMI. Le passif hellénique a été étatisé sous gestion directe de lEurogroupe, ce qui implique un affrontement politique plus direct. Le contexte international stabilisé de 2001-2005 contraste également avec les turbulences de 2008-2015. Le traumatisme qui en Argentine sest atténué en deux ans dure déjà en Grèce depuis six années. Et lon ne peut pas non plus mettre un signe dégalité entre une économie exportatrice daliments et une périphérie dépendante du tourisme. Mais les crises capitalistes qui font irruption dans des contextes différents conduisent fréquemment à des dilemmes similaires.
La nationalisation des banques est une condition nécessaire à une issue en faveur de la population. Cela ne sest pas produit en Argentine, mais est très faisable en Grèce. LEtat y est lactionnaire majoritaire des principales entités et naurait quà exercer sa primauté pour recomposer des patrimoines, réviser des comptes et récupérer de largent utilisé de façon douteuse. Une telle initiative pourrait être menée conjointement à une réforme fiscale progressiste qui élimine les privilèges des armateurs et de lEglise orthodoxe.
Aucune de ces mesures ne figure aujourdhui à lagenda de la coalition gouvernementale. Syriza a perdu lesprit de sa fondation. Son leader a fait le choix des puissants et abandonné les déshérités. La gauche a besoin dautres fondements et dune autre direction.
La Grèce continue dattirer lattention du monde entier. Elle est le théâtre de la plus importante expression de révolte en Europe depuis la révolution portugaise des années 1970. La nouvelle étape post-Tsipras sera parsemée dinterrogations, mais la gauche grecque peut compter avec certitude sur une importante solidarité dAmérique latine.
Claudio Katz